Retour en images sur la commémoration du centenaire de l’armistice.
Discours du 11 novembre 2018
Prononcé par Hervé Chérubini, maire de Saint-Rémy-de-Provence
Mesdames, Messieurs,
« Saint-Rémy se souvient. »
Ces quelques mots sont ceux que nous avons choisis pour dénommer l’ensemble des manifestations et cérémonies qui marquent le centenaire de l’Armistice 1918, et dont cette commémoration est le point d’orgue.
Je me réjouis de la présence nombreuse du public, et plus particulièrement des enfants des écoles saint-rémoises et du collège Glanum, des associations patriotiques et militaires, des associations civiles, des porte-drapeaux, des agents municipaux, de la gendarmerie et des sapeurs-pompiers, des membres de la Respelido dans le costume traditionnel de deuil, ainsi que MM. Blanc et Gosme, qui ont aimablement mis à disposition leurs voitures de collection, dans cet important moment mémoriel, qui est aussi un moment de communion nationale.
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Saint-Rémy se souvient.
Saint-Rémy se souvient des 203 Saint-Rémois de tous âges morts sur le front de la Première Guerre mondiale, de leur sacrifice immense aux côtés de 1 million 400 000 autres soldats français et coloniaux, et de plus de 4 millions de blessés.
Saint-Rémy se souvient de leurs familles, anéanties pour toujours par la disparition d’un père, d’un fils, d’un frère, d’un oncle, et parfois par la perte de deux membres d’une même fratrie.
Saint-Rémy se souvient de la vie quotidienne, à l’arrière des combats, des répercussions douloureuses sur la société civile, entre deuils et espoirs, des efforts fournis pour faire tourner l’économie, accueillir les blessés et les réfugiés, porter secours aux familles…
Saint-Rémy se souvient que quel que soit le camp des belligérants, alliés ou ennemis, ce conflit à l’ampleur alors inédite fut un effroyable massacre et un épouvantable gâchis.
Saint-Rémy se souvient enfin que ces 4 années de guerre ont fait entrer l’humanité toute entière dans un nouvel âge technologique, social, économique, politique, idéologique, préparant le terrain pour le conflit mondial suivant, pire encore que celui-ci.
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Voilà donc 100 ans, jour pour jour, que le maréchal Ferdinand Foch, commandant en chef des armées alliées, les amiraux britanniques Rosslyn Wemyss et George Hope, et le secrétaire d’État Matthias Erzberger, représentant du gouvernement allemand, signaient l’armistice à 5h15 dans un wagon du train d’État-Major, posté dans la clairière de Rethondes, en forêt de Compiègne. La France et ses alliés sont victorieux.
Quelques mois auparavant, la défaite était pourtant envisagée, avec le bombardement de la capitale en mars et en avril, et une offensive allemande qui amène l’armée ennemie à 70 km de Paris. Mais la deuxième bataille de la Marne prend un tournant décisif en juillet, avec une contre-attaque française à succès qui désagrège les défenses allemandes et provoque des désertions massives chez l’adversaire, poussé au repli. Dès le mois de septembre, l’empereur Guillaume II sait que la guerre est perdue. Il faudra près de 2 mois pour aboutir à l’armistice.
À 11h, les cloches retentissent dans toute la France pour annoncer la fin de ce conflit de tous les records : 60 millions de soldats mobilisés, 21 millions de soldats blessés, 10 millions de soldats tués, 9 millions de victimes civiles, 8 millions d’invalides. Des destructions matérielles d’une étendue jamais connue auparavant. Un déficit des hommes par rapport aux femmes, jusqu’à un quart en moins, pour chaque tranche d’âge de 19 à 47 ans.
En raison de ces superlatifs, cette guerre sera surnommée la « Grande Guerre ».
Saint-Rémy se souvient des soldats saint-rémois
Il y a 4 ans, le 11 novembre 2014, pour le centenaire du début du conflit, les enfants de l’école de la République avaient lu ici même les noms de 183 Saint-Rémois mobilisés et morts sur le front.
Ce chiffre venait d’être mis à jour par des recherches et des recoupements effectués par le service communication de la mairie.
Depuis, le service municipal du patrimoine a approfondi encore ces recherches, utilisant de nouvelles sources d’informations ; il a ainsi découvert 20 « nouveaux » soldats morts au moment de la guerre, portant donc leur nombre à 203.
Nous procéderons tout à l’heure au dévoilement d’une nouvelle plaque au monument aux morts, afin de rendre hommage à ces soldats qui, pendant un siècle, ont été comme « oubliés » des statistiques officielles, volontairement ou non. Il faut en effet prendre conscience qu’il était parfois complexe, avec les moyens de l’époque, de recenser correctement les victimes.
203 soldats tués, pour une population saint-rémoise d’environ 6 000 habitants à l’époque.
110 de ces combattants étaient âgés de moins de 30 ans. 63 âgés de 30 à 40 ans. 17 âgés de plus de 40 ans.
D’autres ne sont pas comptabilisés car décédés après la guerre, des suites de leurs blessures (conséquences tardives de gazages par exemple, comme Lucien Bonnet, père de Marcel).
Ces Saint-Rémois ont participé à toutes les batailles, notamment celles de Morhange, de la Marne, de Verdun, de la Somme, du Chemin des Dames, et à la reprise de la guerre de mouvement en 1918. Ils ont combattu sur le front d’Occident mais aussi sur le front d’Orient.
Des différentes plaques qui commémorent les soldats saint-rémois, situées sur le monument aux morts, à la collégiale Saint-Martin et à l’hôtel de ville, figurent principalement les soldats ayant reçu la mention « Morts pour la France », récompense morale honorant leur sacrifice et permettant à la famille le versement d’une pension.
Il figure également sur ces plaques des soldats à qui la mention n’a pas été attribuée. Et certains qui avaient la mention n’y figurent pas, en raison des aléas administratifs qui n’ont pas permis de retrouver leur trace avant la réalisation des plaques.
En cette année du centenaire, nous avons décidé de remédier à ces traitements différents et de tous les mentionner au monument aux morts. Car morts pour la France ou non, ces Saint-Rémois partagent une condition commune, celle d’avoir été arrachés à leur vie quotidienne, d’avoir été emportés dans une folie guerrière qui les dépassaient, sans aucune échappatoire possible. Celle d’avoir combattu, d’avoir souffert, d’avoir assisté aux pires horreurs, avant finalement d’y laisser leur vie, d’une façon ou d’une autre.
Parmi ces victimes, citons le 1er d’entre eux, Pierre Guillot, tombé le 7 août 1914 à Dieuze (Lorraine), 4 jours après la déclaration de guerre. Le dernier, Pierre-Marius Brun, tombé le 9 novembre 1918 à Stendal en Allemagne. Pierre-Jean Dinard, tué au Chemin des Dames le 20 mai 1917 à l’âge de 20 ans, dont le nom n’apparaît dans aucun document mais qui a finalement été retrouvé sur la tombe familiale au cimetière. Barthélémy Lilamand, tué le 13 mai 1915, dont la mort est racontée dans le journal de guerre de son camarade Marius Deville, témoin direct de la scène. Simon Roux, chef de chœur de la Lyre saint-rémoise, auteur de contes provençaux, mort le 12 février 1918 à Sofia en Bulgarie.
Citons aussi bien sûr Julien Lançon, qui fut fusillé pour l’exemple par ses propres frères d’armes, à 23 ans, pour avoir voulu différer d’une journée, avec 200 à 300 hommes et après 10 jours d’offensive, une nouvelle attaque vouée à l’échec, comme nombre des précédentes. Depuis son exécution, le 22 octobre 1916, Julien reposait dans le cimetière de Sarcus (dans l’Oise) avec son caporal Sylvestre Marchetti, fusillé avec lui, et son nom ne figurait sur aucun monument.
Il y a 4 ans nous avions dévoilé une plaque en sa mémoire, distincte du monument, posée à ses pieds. Du chemin a été parcouru depuis puisque le 22 octobre 2016, pour les 100 ans de son exécution, Julien Lançon a été réinhumé au cimetière de Mollégès, son village natal, en présence de sa famille, d’historiens, d’associations d’anciens combattants, d’élus et d’écoliers.
Saint-Rémy se souvient que cette victoire porte déjà en elle les germes de la Seconde guerre mondiale.
La Grande Guerre, désastre humain, a changé la face du monde et fait entrer l’humanité dans l’ordre nouveau qui sera celui du XXe siècle. En 4 ans, l’Europe ravagée et anéantie, amputée de sa jeunesse, avec une agriculture et une industrie à genoux, perd définitivement sa suprématie mondiale au profit des États-Unis.
L’humanité choquée se persuade que cette guerre est la dernière, la « der des ders ». Pour mettre toutes les chances du côté de la paix, les vainqueurs estiment qu’il faut passer définitivement aux vaincus l’envie de belligérer à nouveau. Ce sera l’objectif du Traité de Versailles, signé le 28 juin 1919. Celui-ci rend l’Allemagne et ses alliés responsables du conflit. Il démantèle le territoire allemand de régions essentiellement acquises auparavant par la force et lui fait renoncer à l’intégralité de son empire colonial. Il limite strictement son pouvoir militaire. Enfin, il impose à l’Allemagne de payer les dommages de guerre causés en France et en Belgique, tout en lui infligeant de lourdes sanctions économiques.
Mais loin de régler les contentieux entre les nations, le traité de Versailles mal accueilli n’atténue pas l’esprit de revanche. Il contribue au contraire à faire le terreau des nationalismes, du fascisme et du nazisme qui, conjugués à la Grande Dépression, crise économique mondiale, conduisent, en seulement 20 ans, à la déflagration de la Seconde Guerre mondiale, qui sera sept fois plus meurtrière que la première.
Saint-Rémy se souvient des actes de réconciliation
Il faudra ainsi une troisième guerre contre notre voisin allemand, des millions de morts supplémentaires et des nations dévastées, pour que nos deux pays entrent dans un véritable processus de réconciliation, via la mise en œuvre d’un projet commun, l’Union européenne, et une coopération accrue sur le plan des relations internationales, de la défense, de l’éducation et du rapprochement des peuples.
À l’opposé d’un Traité de Versailles qui ne refermait aucune blessure, c’est le Traité de l’Élysée, signé le 22 janvier 1963 entre le président français Charles de Gaulle et le chancelier allemand Konrad Adenauer, qui officialise ainsi l’amitié franco-allemande. Ce nouveau traité a été le premier de nombreux signes de pardon et de réconciliation, comme le célèbre geste de François Mitterrand et Helmut Kohl le 22 septembre 1984 au cimetière de Douaumont en Lorraine.
Aujourd’hui, des liens très forts se sont noués entre nos deux pays, sur les plans économique, technologique, éducatif, culturel, mais également dans la vie personnelle de très nombreux individus.
C’est aussi de ce traité que découle, entre autres, le jumelage que nous entretenons avec la ville allemande de Pfarrkirchen depuis 1991.
Cette commémoration, et les 100 ans qui nous séparent désormais de l’Armistice de 1918, nous permettent de prendre conscience du chemin parcouru depuis. En 75 ans, la France et l’Allemagne s’étaient affrontées trois fois. Aujourd’hui cela fait 73 ans que l’Europe occidentale tout entière, à la suite de la réconciliation pleine et sincère de ses nations, connaît la paix.
Un record historique, que l’on aurait tort de considérer comme éternellement acquis.
Aujourd’hui, alors que cette cérémonie, instaurée en 1922, a pour but de célébrer la paix, et depuis 2012 de commémorer les morts de toutes les guerres, de transmettre l’idée du « Plus jamais ça », certaines voix s’élèvent, regrettant que la victoire militaire ne soit pas davantage glorifiée.
À ceux-là je voudrais dire que NON, la célébration de la paix n’est pas une faiblesse. Cette paix a été très difficile à obtenir ; elle a nécessité d’importants efforts chez les anciens adversaires. La paix n’est pas une illusion de naïfs bien-pensants, mais une réalité très concrète qui a fait la force de l’Europe depuis 73 ans.
À ce titre, je redoute ces nostalgiques qui, au prétexte d’une menace internationale qui semble s’amplifier, prônent à l’inverse le repli sur soi et ravivent les nationalismes dont on sait justement où ils mènent, pour l’avoir déjà constaté dans la violence à maintes reprises.
Que les choses soient claires : la nation n’oublie rien de ce qu’elle doit au sacrifice immense consenti par nos soldats.
Non, la nation se souvient de tout, et c’est justement pour cela qu’elle a obligation de célébrer cette paix, et de perpétuer le souvenir du traumatisme vécu par la société tout entière, qui ont forgé notre République actuelle, notre identité française et européenne, celle qui nous définit et nous relie, nous et les peuples du monde entier.
Commémorer le 11 novembre comme nous le faisons aujourd’hui est un acte de vigilance, un acte patriotique, de ce vrai « patriotisme positif » qui nous unit dans des valeurs qui nous élèvent.
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Le dernier vétéran de la Première Guerre mondiale, le britannique Claude Choules, est décédé en 2011. Ce conflit appartient depuis à l’Histoire ; il n’existera plus désormais que par les commémorations et la transmission des récits et des documents historiques.
Des témoignages de cette guerre, récits, objets, photographies… il en subsiste encore beaucoup, conservés par les familles des anciens soldats et transmis de génération en génération. La ville dispose également d’archives municipales qui contiennent une foule d’informations. À partir de ces éléments, les services municipaux ont préparé deux expositions remarquables pour ce centenaire.
Au musée des Alpilles, l’exposition Des nouvelles du front évoque les liens entre le front et le village de Saint-Rémy pendant la Grande Guerre, notamment par le biais de la correspondance, de la littérature, de la photo, des œuvres d’art et d’artisanat produites par les combattants.
À la bibliothèque municipale, il est proposé de revivre les répercussions de la guerre « à l’arrière ». Cette exposition nous replonge dans le Saint-Rémy d’autrefois et nous fait redécouvrir les lieux que nous connaissons toujours aujourd’hui, quand ils étaient réquisitionnés pour l’effort de guerre.
Enfin, le service culturel propose ce mardi 13 novembre à 20h, à l’Alpilium, le spectacle Les Filles aux mains jaunes, qui évoque les « obusettes », ces femmes travaillant dans les usines d’armement dès 1914. Empoisonnées par les substances explosives, très mal payées, ces femmes ont participé sans le savoir à l’émancipation féminine, milité pour les droits des ouvrières et contribué elles aussi à l’entrée de l’humanité dans un monde nouveau.
C’est ainsi notamment que la ville de Saint-Rémy-de-Provence prend sa part à l’indispensable devoir de mémoire auquel il est essentiel de se conformer, pour continuer dans l’avenir de tirer les leçons de cette guerre qui s’est achevée il y a 100 ans.
Saint-Rémy se souvient et se souviendra encore longtemps,
pour que vive la République, vive Saint-Rémy-de-Provence et vive la France.
Cet article a été modifié pour la dernière fois le 10 décembre 2018 à 09:27