Le Journal de Saint-Rémy n°56 comporte une double-page consacrée à l’étude qui a été menée sur le monolithe du Mas de la Pyramide par Jean-Louis Paillet, architecte-archéologue spécialiste de l’architecture antique.
La passionnante interview de Jean-Louis Paillet figurant dans le journal municipal a été volontairement réduite pour tenir dans l’espace limité du magazine. Nous vous invitons à lire ci-dessous sa version intégrale.

Comment avez-vous accueilli la demande de M. le Maire de participer à l’étude architecturale de la « Pyramide » ?
J’ai été très heureux et j’ai accepté tout de suite. C’est un grand honneur pour moi de pouvoir contribuer à la mise en valeur de ce lieu. Tout d’abord je voudrais saluer la généreuse décision de M. Mauron et le remercier pour son chaleureux accueil. C’est une très bonne chose que ce lieu exceptionnel, si important dans l’histoire de Saint-Rémy, devienne un bien public. Il sera ainsi protégé et mis en valeur. Il s’agit d’une carrière à ciel ouvert exploitée dans l’Antiquité. Les pierres extraites ici ont servi à bâtir les monuments de Glanum, le Mausolée des Julii, l’Arc municipal, les remparts, les deux aqueducs du vallon Saint-Clair et de la Gorge des Peirou. Au cours de ma carrière en tant qu’Ingénieur de Recherche au laboratoire de l’IRAA (Institut de recherche sur architecture antique, CNRS-AMU), j’ai eu la chance de travailler plusieurs fois à Glanum, sur les remparts, le grand Temple géminé nord, sur les deux aqueducs et le cabestan de la carrière Saint-Paul. Depuis plusieurs années, je souhaitais étudier la Pyramide, vérifier mes interprétations et les livrer au public pour qu’il regarde et comprenne correctement ce curieux monolithe qui intrigue tous les Saint-Rémois. 25 ans plus tard, je suis maintenant à la retraite et c’est avec joie que j’ai pu confronter mes hypothèses à la réalité et, en même temps, répondre modestement aux vœux patrimoniaux de M. Mauron et de la Municipalité.

Est-il vrai que vous réalisez cette étude gracieusement ?
Tout à fait. J’ai signé une convention de collaborateur bénévole du service public avec la mairie qui s’est occupée de toute la logistique.
J’ai eu la chance d’être aidé dans ma tâche par trois autres bénévoles, Jacqueline Guinot, Cathy Jourdan et Patrick Magdinier, membres, comme moi, du GAM (Groupe Archéologique de Mouriès) qui, malgré la froidure et le mistral ont participé au nettoyage délicat des parements couverts de lichens de la Pyramide et à la prise de mesure et de photo. Le midi nous avons été réconfortés par les excellents repas de la cantine de l’école de la République. M. le Maire a mis à notre disposition toutes les infrastructures nécessaires, et en particulier les échafaudages pour réaliser cette étude dans les meilleures conditions et je lui en suis très reconnaissant.
Nous avions déjà collaboré à la fin des années 1990 à de l’étude du « Cabestan de la carrière Saint-Paul ». La ville avait financé la publication de ce travail. Il en sera de même pour l’étude architecturale de la Pyramide. Les Saint-Rémois pourront ainsi se faire une nouvelle idée de ce monolithe qui est, en fait, solidaire de la masse de calcaire géologique sous-jacente.

Pourquoi réaliser cette étude maintenant ?
Ce lieu est très complexe. La ville a raison de prendre le temps de faire réaliser des études, d’examiner tous les aspects nécessaires à la mise en valeur de ce lieu. Si cette étape est la première visible, elle fait suite à presque 2 ans de réflexion. Il y aura d’autres études nécessaires notamment pour les aspects sécuritaires liés à l’accueil du public. Tout cela ne se fera pas en quelques semaines.
Pour ma part, je suis chargé, d’abord, de proposer une explication logique et scientifique, de la pyramide, sa fonction et sa raison d’être, de comprendre et d’expliquer sa morphologie et les traces visibles sur l’épiderme de ses parements en relation avec les gradins de la carrière. Il m’a été demandé également de participer à un projet d’aménagement d’un parcours muséographique sur les spécificités de l’extraction de la pierre à Saint-Rémy, et notamment le rôle économique majeur que la carrière de la Pyramide a pu jouer dans le développement de la Glanum antique, gallo-grecque et romaine.
Bien évidemment, nous souhaitons tous la vie la plus longue à M. Mauron. Mais au moment de sa disparition, les études préalables seront prêtes pour que les entreprises puissent commencer les travaux rapidement afin que ce lieu puisse être ouvert au public le plus rapidement possible selon ses volontés.

Quels sont les objectifs de cette étude ?
Beaucoup d’histoires, de légendes ont été racontées au sujet de la Pyramide afin de tenter d’expliquer sa raison d’être mais aucune étude scientifique n’avait été entreprise. Le but a été d’étudier de près, grâce à l’échafaudage, toutes les traces présentes sur la paroi rocheuse. Celles laissées par les outils qui ont permis l’extraction des pierres, bien sûr, mais encore, les traces qui peuvent être liées à la fonction de ce piton rocheux.

Alors êtes-vous arrivé à percer le secret de la « pyramide » ? Quelle était son utilité dans l’Antiquité ?
Oui, nous avons progressé, d’abord en éliminant des hypothèses simplistes, mais aussi en apportant des preuves matérielles, majeures et incontestables pour témoigner de sa raison d’être. La tradition populaire l’a appelé « Pyramide » mais elle n’en est pas une. Elle n’a pas supporté de voûte puisque la carrière était à ciel ouvert. Elle n’est pas non plus l’unique pile d’un grand pont qui aurait franchi la carrière dans un axe Sud-Nord. Contrairement à ce que beaucoup pensent, ce piton rocheux n’a pas été laissé pour servir de témoin.
Avant de commencer l’étude, nous avions déjà une idée de son utilité et nos hypothèses ont été confirmées. Il s’agit en réalité d’une « laisse de carrière » c’est-à-dire une éminence rocheuse qui a « grandi » par décaissement progressif, au fur et à mesure que la carrière se creusait en gradin autour d’elle. Sa partie la plus haute correspond en fait à la roche en place qui a été trouvée après l’élimination de la couche de découverte. Sa base, qui est encore ensevelie sous plusieurs mètres de remblais modernes et sous les remblais anciens (déchets de taille = Thor blanc), sera datée par le matériel archéologique que l’on découvrira dans sa couche d’abandon contemporaine de la fin de l’exploitation de la carrière.
Mais pourquoi créer une « laisse de carrière » approximativement au milieu de la carrière ? Pour extraire les blocs de pierre de taille, il faut réaliser des saignées latérales et postérieures, creuser des emboîtures dans leur lit inférieur pour y placer des coins, frapper sur les coins et après détachement des blocs de la carrière il fallait les tirer avec des treuils amarrés par des cordages à un point fixe et solide : la laisse de carrière. Ce point fixe servait de borne d’amarrage à tous les treuils qui devaient tirer les blocs vers le centre depuis la périphérie de la carrière. Les blocs sortis des gradins d’extraction pouvaient être tirés sur des rouleaux puis soulevés par des chèvres et enfin posés sur des charrettes tractées par des bœufs. Il est probable que ces treuils pouvaient être utilisés pour tirer les cordages des chèvres et soulever les blocs Mais cela n’est qu’une hypothèse invérifiable.

Qu’avez-vous trouvé comme traces qui prouvent cette utilisation ? Avez-vous eu des surprises lors de cette étude ?
Nous avions espéré trouver des traces semblables à celles que l’on remarque très souvent sur les angles des margelles en pierre de puits ! Pourtant, les cordages qui entouraient la laisse de carrière pour stabiliser les treuils en place n’ont laissé que de minuscules traces d’usure sur les angles de la laisse de carrière. Cela nous a surpris et intrigués dès le début de nos investigations sur les parements de la pyramide.
Peu après, nous avons remarqué que tous les angles des parements de la Pyramide étaient systématiquement abattus brutalement à coup de masse ou de marteau dans le but de créer des encoches ressemblant à des chanfreins grossiers. La création de ces encoches correspondait au désir d’abattre les angles saillants de la pyramide pour éviter que les cordages ne souffrent dans les angles droits à 90°. Leur abattage transformait les angles aigus de 90° en angles obtus de 135°. L’importance du nombre de ces encoches, supérieur à 200 unités, rend cette hypothèse crédible et comme elles ne présentent que d’infimes traces d’usure, nous devons en conclure que les cordages entourant la pyramide servaient exclusivement à stabiliser les treuils. Ils ne bougeaient pas mais étaient seulement sous tension et n’avaient aucune raison de laisser des traces importantes sur les angles obtus de la laisse de carrière.

Voilà donc une énigme résolue, mais nos recherches ne s’arrêtent pas là. Les outils, pic de carrier à deux dents, pic à une dent, pic à tranchant plat (escoude médiévale), marteau taillant, etc. ont laissé des traces fort bien conservées dont les gerbes causées par les gestes des carriers nous apporteront d’autres informations et, entre autres, des précisions sur les mensurations modulaires des hauteurs des assises extraites. À propos du problème de la chronologie de l’ouverture et de l’abandon de cette carrière, notre approche architecturale et technique n’est pas suffisante sans des fouilles archéologiques en haut de la carrière, pour nous éclairer sur l’origine de son activité, et en bas des couches de remblais, près de la Pyramide, pour apprécier les plus récentes traces de son abandon. Il nous reste aussi à comparer ce monument, issu du savoir-faire des carriers glaniques, avec ceux des autres laisses de carrière exceptionnellement conservées et souvent oubliées dans le monde antique. Puisse cette modeste recherche faire école et se développer pour connaître la plus ancienne laisse de carrière et la diffusion de son modèle autour de la Méditerranée.

Cet article a été modifié pour la dernière fois le 14 mai 2021 à 13:09